« Fasciner l’attention »
Le chromatrope et le pouvoir suggestif de la couleur en France au XIXe siècle

Le chromatrope est une plaque animée, constituée de deux verres peints avec des bandes de couleurs brillantes formant des motifs ornementaux abstraits. Les verres sont mis en rotation en sens inverse l’un de l’autre grâce à un châssis à manivelle qui, une fois inséré dans la lanterne magique, permet de projeter sur un écran des compositions de couleurs en mouvement. Grâce au succès public des spectacles présentés au théâtre optique de la Royal Polytechnic Institution de Londres par le peintre et lanterniste Henry Langdon Childe, le chromatrope devient à partir des années 1840 une forme d’attraction très populaire dans les théâtres français. Il possède à la fois une fonction de divertissement et une fonction pédagogique visant à instruire les spectateurs sur les théories de la couleur. Si les origines culturelles de l’instrument sont liées à une sorte d’hybridation entre la tradition prémoderne des spectacles pyrotechniques et les développements plus récents de l’ornement industriel, sa longévité au cours du XIXe siècle s’explique plutôt par l’évolution de son statut et des discours savants qui ont accompagné son passage de la physiologie optique à la psychophysiologie de la couleur. Grâce au mouvement captivant et répétitif de ses rosaces multicolores, le chromatrope, avec son potentiel de projection suggestive, paraît susceptible de produire un conditionnement psychologique sur les spectateurs. En vertu de ce pouvoir de suggestion, l’instrument est alors décrit à la fois comme un mécanisme spectaculaire et comme un dispositif hypnotique à visée thérapeutique.

Chromatrope (détail), Angleterre, seconde moitié du XIXe siècle, plaque animée peinte à la main, Ø 70 mm. Collection particulière. (Photographie : Christian Mayaud). © Institut national d’histoire de l’art, Paris.

Alessandra Ronetti est doctorante en histoire de l’art contemporain à l’École normale supérieure de Pise et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a été chercheuse invitée et chargée de cours à la New York University en 2016. Sa thèse, Chromomentalisme. Psychologies de la couleur et pratiques visuelles en France au passage du siècle (1880-1914), dirigée par Pascal Rousseau, porte sur l’impact élargi des multiples théories psychologiques de la couleur sur la culture visuelle de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle.

Référence : Alessandra Ronetti, « ‹ Fasciner l’attention ›. Le chromatrope et le pouvoir suggestif de la couleur en France au XIXe siècle », Transbordeur. Photographie histoire société, no 1, 2017, pp. 134-149.

Transbordeur
Revue annuelle à comité de lecture